Petits fours, toast, champagne, jus de fruits et encore des toasts. Le choix était large. Mais je n’avais pas faim. Je regardais stoïque la table où s’étendait devant moi une large gamme de produit. La boule au ventre que j’avais depuis une bonne heure ne disparaissait pas et m’empêcher de manger quoi que ce soit. Les gens autours de moi n’avaient pas l’air plus heureux, ou du moins ils essayaient de paraitre bien. Leur sourire maladroit pendu à leur lèvres les trahissait tous. Qui pourrait être heureux après avoir enterré un proche parent ou ami ? Pour ma part ce n’était ni l’un ni l’autre. Du moins plus maintenant. Mais j’avais connu l’homme qui était à présent sous terre. Le père de Primrose que j’avais rencontré jeune. Mainte et mainte fois j’avais eu l’occasion de le côtoyer quand j’allais chez la jeune brune ou bien par hasard en faisait les courses par exemple. Mais je ne l’avais pas revu depuis tant d’années … Une patiente m’avait annoncé sa mort. Je n’arriverais pas à dire l’effet que cela m’a fait. Ca m’a retourné mais bizarrement je n’ai pensé qu’à une seule personne à ce moment là : Primrose. Je n’avais jamais eu de nouvelles d’elle depuis … tant d’années aussi. Elle viendrait forcément à l’enterrement de son père, l’événement était une bonne occasion pour la revoir. Alors je n’avais guère hésité pour m’y rendre … et puis hormis Primrose, je me devais de rendre hommage une dernière fois à son père.

Je connaissais quelques personnes qui étaient là, il n’y avait pas Aimee ce qui m’étonnait, enfin peut-être que les jeunes femmes ne s’étaient pas revue non plus ? Quoi qu’il en soit, je devais trouver Primrose. Je l’avais vu devant la tombe de son père quelques heures auparavant. Elle n’avait pas changé … du moins si elle avait changé, mais elle était toujours aussi belle. L’aborder à un moment pareil serait peut-être maladroit, mais je n’avais pas fait le déplacement pour rien. Je m’excusai auprès de la jeune femme qui me parlait, je déposai ma coupe sur la table - à moitié vide – puis je commençai à marcher dans la maison qui me semblait si familière, et elle l’était. Je balayai la grande salle du regard pour voir si j’apercevais celle que je cherchais. Mais rien. Je fini par demander à quelqu’un qui par chance, venait de la voir passer pour se diriger vers l’extérieur de la demeure. Parfait ! Je sortis alors à mon tour. Un léger vent frai soufflait, rien de mieux pour se rafraichir un peu les idées. Je commençai à marcher un peu, les mains dans mes poches de mon pantalon tout neuf. Et enfin je l’aperçu. Elle était là, contemplant la cabane qui se dressait devant elle. Je m’arrêtai et l’observer un instant. Je ne voyais que son dos, mais je savais qu’il s’agissait de Primrose. Je n’oublie pas si facilement une silhouette quand même. Y aller, ne pas y aller ? J’hésitai trop. Qu’est-ce qu’on avait à se dire après tout ce temps hein ? Beaucoup trop de choses et je ne serais pas par où commencer. Oh j’avais besoin d’explication, de nombreuses explications de sa part, je n’avais rien à me reprocher moi. Mais après tout ses années, il y avait prescription et je serais assez étonné qu’elle s’énerve en me voyant. Ce n’était pas le genre de Primrose …

Alors doucement, je repris ma marche pour arriver vers elle. Je m’arrêtai quelques mètres derrière elle. Tu manques à tes invités …. J’aurais très bien pu dire Quelle magnifique cabane. Mais non, ce n’était pas ce qui était sorti. Je me senti idiot, elle ne manquait qu’à un seul invité : Moi. Moi et moi seul.

Pas une fois ni deux, ni même trois fois mais bien une bonne dizaine de fois j’avais appelé Primrose en vain. Elle avait tout quitté sans rien me dire ou peut-être … m’avait elle juste quitté moi ? Suite à ce que nous avions fait, je n’en avais jamais été fier. Le dire à Aimee n’avait pas été une erreur, je ne regrettais rien aujourd’hui et la preuve, ca n’avait pas vraiment d’impact maintenant vu qu’Aimee et moi étions de bons amis, des adultes responsables capables de balayer le passé. Ou pas d’ailleurs, avais-je été vraiment capable d’oublier la magnifique brune qui se tenait devant moi en cet instant ? Sans doute pas non. J’avais eu quelques compagnes, l’une pendant deux mois et l’une pendant quatre ans. Je pensais vraiment que ca serait sérieux mais … non. Je l’avais laissé tomber ( pas lâchement ! ). Elle ne me convenait juste pas. En réalité je ne savais pas qui me convenait, ce que j’attendais d’une femme, ce que je pouvais lui offrir. Je devais encore être entrain de chercher …

Mais l’heure n’était pas à la réflexion et encore moins dans un tel moment. Primrose avait décidé de prendre quelques distances ce qui n’était pas plus mal. Ma phrase fut stupide – comme tout ce que j’aurais pu dire en cet instant d’ailleurs – mais elle se retourna comme figée par ma voix. Evidemment ca faisait drôle, après tant d’années je pouvais la comprendre. Faire irruption comme je l’avais fait, à l’enterrement de son père sans l’avoir prévenu. C’était osé, mais après tout si je l’avais prévenu, elle aurait essayé de me fuir ? Peut-être que oui, peut-être que non. Je m’en fichais. J’étais là. Ces cheveux étaient à l’identique, légèrement ondulés, beaux. Ses yeux s’étaient un peu éclaircis, ou alors la lumière du jour me faisait défaut. Mais au fond, elle restait la même : d’une magnifique beauté. Je secouai légèrement la tête. J’attendais une phrase de sa part, qu’elle me dise qu’elle était heureuse de me voir, que je lui avais manqué. A la place elle se ravise et partis dans un discours sur sa tante Margaret ce qui me fit sourire. J’avais aperçu sa sœur, elle m’avait dit bonjour de loin avec un sourire de compassion. Aucune idée pourquoi, Primrose sans doute …
Je ne répondis pas à sa remarque. J’avais légèrement baissé les yeux, que je le relevai quelques minutes après avoir entendu sa voix qui s’élevait de nouveau. Toujours mes mains dans mes poches j’haussai les épaules. En forme oui je l’étais je ne pouvais pas dire le contraire. Et bien disons que je n’ai pas trop à me plaindre. J’ai un bon boulot, une belle maison, une vie tranquille et puis … je m’entretiens … Dis-je en passant une main sur mon ventre en souriant. Je voulais détendre l’atmosphère, car même si la jeune femme ne voulait pas le faire paraitre, la situation était quelque peu embarrassante. .. Tout va bien …

Je voulais lui dire ô combien j’étais désolé pour son père. Elle aussi voulait me dire quelque chose, mais rien ne sembla sortir de sa bouche non plus. J’avançai d’un pas et fit une petite moue. Tu sais combien j’étais attaché à ton père … je suis sincèrement désolé. Mais .. je voulais être là c’est la moindre des choses. Maintenant si tu préfères que je parte et bien … je le ferais, je peux aussi comprendre. Ce que j’avais dit était un moyen d’aborder le sujet, le sujet qu’elle ne voulait pas sans doute qu’on aborde d’ailleurs.

Avoir Primrose en face de moi me rappelait tant de souvenirs. Nous avions été inséparables, comment notre amitié avait pu s’arrêter subitement, et surtout à cause d’elle bêtise … certes, impardonnable. Mais la vie était bien assez complexe pour la complexifier encore. J’avais perdu ma meilleure amie et bien tant pis. Mais maintenant je devais la récupérer. Est-ce qu’elle allait rester ici longtemps ? Est-ce qu’elle avait envie de tourner la page elle aussi ? Ou peut-être qu’elle ne voulait tout simplement pas que je reste dans sa vie. Je lui montrais que pour moi tout allait bien et c’était la vérité, je n’avais franchement pas à me plaindre. J’écoutais ce qu’elle disait, et un sourire se dessina sur mes lèvres. Les femmes étaient un sujet sensible. Et certes je me trouvais plus beau qu’il y a dix ans. J’avais perdu ses joues rondes que j’avais avant, j’avais fait pas mal de sport ( un conseil de ma mère pour oublier Primrose ). Ca avait marché … mais uniquement pour maigrir. Primrose elle, je ne l’avais jamais oublié. En fait ça serait un sujet à ne pas trop aborder en ce moment … je viens de quitter une femme il y a un mois alors .. J’haussais les épaules. De toute manière nous n’avions pas spécialement de chose en commun et on passait plus de temps à s’engueuler qu’autre chose donc … J’étais aussi curieux de savoir si de son côté, elle réussissait mieux que moi. Je te retourne le compliment d’ailleurs … tu n’as vraiment pas changé. Bon si évidemment, mais pour moi, elle restait la même.

Je fis une moue à sa remarque. Oui, j’avais été là à l’enterrement de sa mère et je n’avais qu’une envie : Qu’il ne se passe pas la même chose. Et même si ça c’était passé, je devais resté présent jusqu’au bout. Me défiler dans un moment pareil ne faisait pas parti de l’une de mes valeurs essentielles de l’amitié … si c’était toujours de l’amitié. C’est normal que je sois là .. je n’aurais pas pu me défiler, enfin si … mais j’en n’avais aucune envie. Et puis, le bon côté des choses c’est que je peux te revoir enfin .. après tant d’années. Et le sujet ne mit pas longtemps à être abordé. J’avais lancé quelques perches, Primrose les saisissait. Ce n’était pas une mauvaise chose, après tout, l’aborder était sans doute le meilleur moyen de passer l’éponge. Mais c’était dur ! Alors je me contentai d’écouter ce qu’elle avait à me dire. Je pouvais la comprendre, mais j’avais beaucoup de mal, énormément de mal. Moi aussi je me sentais coupable Primrose … je n’ai jamais compris pourquoi subitement tu avais décidé de tout abandonner et surtout moi. Ce qui s’est passé était une grave erreur, mais j’étais prêt à passer au dessus, et même si c’était compliqué, je l’aurais fait … J’avais aussi dit ce que j’avais à dire. Maintenant j’acceptais ses excuses, je n’étais pas si rancunier que ça. Elle m’avait fait mal pendant un moment, j’avais mit des mois à remonter la pente, mais j’étais prêt à reprendre une amitié ( que je n’avais pas laissé tomber pour autant ) avec elle. Je m’avançais un petit peu, pour venir m’appuyer contre l’arbre, face à la jeune brune. Je fis un sourire, et baissai la tête quelques instants. C’est passé maintenant …

Très bien. La situation avait changé. Et alors ? Je n’avais tellement pas envie de me prendre la tête, je voulais essayer d’avancer comme je pouvais, aller le plus loin possible, construire ma vie avec quelqu’un que j’aimais vraiment, qui comptait comme la prunelle de mes yeux … comme Primrose. Car oui, Primrose était bien trop importante pour la laisser derrière moi. Maintenant que je l’avais retrouvé, j’allais l’emmener avec moi le plus loin possible, et oui sans lui demander son avis ! C’était peut-être égoïste mais je ne voulais pas la perdre une deuxième fois. Peut-être qu’au final c’était elle la femme qui me fallait. Et bien quoi ? On s’était entendu sur tellement de sujets, petits, et même quand nous étions d’accord, on s’était rarement disputé tous les deux, à chaque désaccord on en avait parlé calmement. On s’était tout dit, absolument dit. Et la clé d’un couple qui fonctionne c’est le dialogue. Ce qui avait manqué à Kelly et moi ces derniers mois. J’affichai un sourire peu convainquant à sa remarque. Oui, je trouverai sans doute quelqu’un un jour. Mais je ne répondis rien. Pour dire quoi ? « Oui toi, tu serais parfaite. » On venait de se retrouver et c’était complètement idiot de penser ça dans un tel moment. Mon sourire s’agrandit un peu à sa remarque. Oui, évidemment physiquement on change tous. Et dit toi que dans quelques années on aura un peu plus de rides que maintenant. Je grimaçai à cette idée. On n’avait quoi ? 28 ans et je pensais aux rides ? Mon côté médecin qui ressortait. Je voyais tous les jours des patients qui me demandaient des conseils pour leur ride, mais que voulez vous que je leur dise ? Oui en effet, il faut faire quelque chose d’urgence, je vous propose la chirurgie ? J’étais un simple docteur ! Et les crèmes antis ride je n’y croyais pas du tout.

Ma présence ici était pour moi une évidence. Je pouvais comprendre sa surprise, mais je n’avais guère hésité à la nouvelle. J’avais connu son père, pourquoi ne pas venir lui rendre hommage une dernière fois ? J’ouvris la bouche mais rien ne sorti. Alors c’était donc le courage qui lui avait manqué pendant ces années ? J’aurais répondu, j’aurais toujours répondu. Je me pinçais la lèvre et hochai la tête. Je comprenais. Vaguement, ce qu’elle avait fait non, mais ce comportement … je pouvais. Moi aussi j’avais hésité longtemps avant d’arrêter de la « harceler » de messages inutiles au final. Ecrivain ? J’irai dès demain faire un tour en librairie alors. Honte à moi. J’avais sans doute dû passer des dizaines de fois devant le livre de Primrose, mais sans vraiment y faire attention. Et dire que petit, je voulais être prince, pompier, chirurgien, boucher, photographe. Finalement je m’étais orienté pour être médecin. Une situation que j’aimais énormément, être au contact des gens était un besoin vital, les aider, les faire avancer était mon but .. alors oui, j’étais extrêmement fier du métier que j’exerçais.
Quoi qu’il en soit, nous étions parti à parler d’un sujet assez épineux, mais si on en parlait pas maintenant, quand est-ce que nous pourrions le faire ? Dans quelques jours, semaines, mois, années ? Qui me disait que Primrose n’allait pas repartir tout droit d’où elle venait et m’abandonner de nouveau ? Qui sait, elle avait sans doute une vie de là où elle venait, et elle devait y repartir … Elle ne semblait pas d’accord avec ce que j’avais dit. C’était dommage, car pour moi c’était du passé. Je ne lui demandais pas d’oublier, ça non. Moi le premier je ne l’avais pas fait. Je ne lui demandai rien, juste qu’elle essaie de passer au dessus de ça, qu’elle essaie d’y penser en souriant et dire « On était jeune ». C’est tout. Je l’écoutai attentivement et je compris bien rapidement où elle voulait en venir. Elle allait se rendre coupable, et culpabiliser de la mort de son père. Non Prim’, tu ne pouvais pas savoir .. Quant à son frère, le peu de fois où je lui avais vraiment parlé, il m’avait semblait peu souple. Je sentais les larmes venir. D’Ordinnaire avec dix ans de moins j’aurais pleuré avec elle, mais là … question de virilité j’avais banni les larmes et toute forme de tristesse de mon programme. Je continuai de l’écouter et levai les yeux vers elle. Je m’approchai d’elle, doucement. J’hésitais à la prendre dans mes bras, mais n’est-ce pas ce que j’aurais fait il y a quelques années de ça ? Si. Alors pourquoi ne pas le faire maintenant ? Elle avait besoin de moins, et j’étais là. Alors doucement, je levais mes bras et les passais autour de ses épaules. Je la serrai contre moi, doucement et un peu plus chaleureusement. Puis je déposai ma tête sur le sienne, fermant les yeux. Ca m’avait manqué, vraiment. Je poussai un léger soupir, caressant ses cheveux avec ma main libre. Tu ne peux pas culpabiliser … Tu sais, je suis sûr que ton père ne t’en veut pas maintenant. Tu es triste et c’est normal, mais tu ne dois pas penser que tu l’as abandonné, et même si en effet tu ne pourras pas rattraper le temps perdu … penses plutôt à tout ce que tu as fait avec lui. Plus je parlais et plus je me rendais compte que je parlais pour rien dire. Je n’avais jamais su expliquer, ou … trouver les bons mots. Mieux valait faire une seule chose que tout le monde savait faire : Se taire.